Lâimmigration, voilĂ un sujet explosif et clivant. Oui, il faut lutter contre lâimmigration clandestine et ceux qui en profitent de maniĂšre Ă©hontĂ©e. Mais je refuse de cĂ©der Ă la politique de la peur, quand on mobilise des menaces existentielles pour manipuler les gens.
Le catastrophisme identitaire et les discours millĂ©naristes sont de vieilles ficelles, rodĂ©es depuis lâAntiquitĂ© et recyclĂ©es aujourdâhui dans les talk-shows de CNews.
Agiter lâidĂ©e de disparition nâest jamais neutre : câest une stratĂ©gie. Elle vise Ă provoquer un rĂ©flexe dĂ©fensif, Ă pousser les gens Ă se rallier Ă un chef autoproclamĂ© rempart. On dramatise pour court-circuiter le dĂ©bat rationnel, on rend suspecte toute nuance, on dĂ©signe un bouc Ă©missaire â Ă©tranger, Ă©lite ou âcolonisateurâ â afin de tracer une frontiĂšre artificielle entre ânousâ et âeuxâ. Et surtout, on transforme lâangoisse en carburant Ă©lectoral.
đđđźđ± đȘđźđą đ©đđ«đ„đđ§đ đđ âđđšđ„đšđ§đąđŹđđđąđšđ§ đđ đ©đđźđ©đ„đđŠđđ§đâ
On entend souvent que la Corse disparaĂźtrait sous le poids des arrivĂ©es extĂ©rieures. Mais supprimer le solde migratoire, câest comme couper la perfusion dâun malade sans soigner la maladie.
Notre natalitĂ© est lâune des plus basses de France : Ă peine 1,5 enfant par femme, bien en dessous du seuil de renouvellement.
Pas parce que les Corses ârefuseraientâ de faire des enfants, mais parce que prĂšs de 23 % des moins de 30 ans vivent sous le seuil de pauvretĂ©, que les emplois stables se rarĂ©fient et que le logement devient inaccessible.
26.6% des couples avec 3 enfant et + vivent également sous le seuil de pauvreté
Dans ces conditions, les berceaux se vident mécaniquement.

Le problĂšme nâest pas tant lâarrivĂ©e des autres que le dĂ©part des nĂŽtres. La Corse est la rĂ©gion française oĂč les natifs reviennent le moins : moins dâun sur cinq revient y vivre aprĂšs ĂȘtre parti. Des gĂ©nĂ©rations entiĂšres quittent lâĂźle faute dâopportunitĂ©s.
Fermer la porte aux arrivants nây changera rien : un pays qui nâarrive pas Ă retenir ses enfants se vide de lui-mĂȘme.
Et croire quâarrĂȘter les arrivĂ©es protĂ©gerait notre culture est une illusion. Sans elles, notre population, dĂ©jĂ vieillie, Ăąge mĂ©dian de 46 ans, dĂ©clinerait encore plus vite.
En 2005, jeunes et anciens sâĂ©quilibraient. En 2025, les anciens seront deux fois plus nombreux que les jeunes.
Ce serait des villages désertés, des classes fermées, un tissu associatif asphyxié.

Et demain, faute de jeunes actifs, qui fera vivre la langue, la culture et lâĂ©conomie de lâĂźle ?
La vraie bataille nâest pas de chasser lâautre, mais de rendre la vie possible ici.
Permettre aux jeunes de rester, aux « exilĂ©s » de revenir, et accueillir dignement ceux qui veulent contribuer Ă lâavenir.
Une culture ne disparaĂźt pas parce quâelle sâouvre, mais parce quâon lâempĂȘche de respirer.
đđđźđ± đȘđźđą đ©đđ«đ„đđ§đ đđ âđ đ«đđ§đ đ«đđŠđ©đ„đđđđŠđđ§đâ
Lâexpression a Ă©tĂ© forgĂ©e par lâĂ©crivain dâextrĂȘme droite Renaud Camus au dĂ©but des annĂ©es 2010. Et en Corse, certains lâagitent pour dire : âil y a de plus en plus dâArabesâ.
Les chiffres démentent.
En 2006, lâĂźle comptait 13 438 Ă©trangers venus dâAfrique.
En 2022, ils sont 13 277. StabilitĂ© parfaite, avec mĂȘme une baisse moyenne dâune dizaine de personnes par an.
Leur poids relatif a reculĂ© : ils reprĂ©sentaient 57 % des Ă©trangers en 2006, contre 41 % aujourdâhui.

La vraie mutation, câest lâeuropĂ©anisation. Les Ă©trangers venus dâEurope sont passĂ©s de 9 687 en 2006 Ă 17 948 en 2022, soit +516 par an en moyenne.
Portugais, Italiens, Espagnols, EuropĂ©ens de lâEst : ce sont eux qui forment dĂ©sormais la majoritĂ© (56 %) des Ă©trangers en Corse.
En 2006, 8 personnes sur 100 Ă©taient Ă©trangĂšres, et plus de la moitiĂ© venait dâAfrique.
En 2022, 9 personnes sur 100 sont Ă©trangĂšres, mais moins de 4 sur 10 viennent dâAfrique et plus de 6 sur 10 dâEurope.
Pourquoi ce décalage entre perception et réalité ?
Parce que la visibilitĂ© culturelle dâune minoritĂ© pĂšse davantage que son poids rĂ©el.
Parce que lâimaginaire des dĂ©cennies 1970â1990, marquĂ© par lâimmigration maghrĂ©bine, continue de hanter les discours.
Et surtout parce quâil est politiquement plus rentable dâagiter le spectre dâune âinvasion arabeâ que dâexpliquer que les nouveaux arrivants sont surtout des EuropĂ©ens en emploi.
Les chiffres sont clairs : la Corse nâest pas submergĂ©e par lâAfrique. Elle vieillit, elle perd ses enfants, et elle sâeuropĂ©anise.
Agiter lâidĂ©e dâinvasion, câest refuser de voir la rĂ©alitĂ© pour mieux instrumentaliser la peur.
đđšđ§đđ„đźđŹđąđšđ§ : đȘđźđđ§đ đ„đđŹ đ©đđźđ«đŹ đŹđ đŠđÌđ„đđ§đ đđ§đ
Ceux qui parlent de âcolonisation de peuplementâ et ceux qui dĂ©noncent âle grand remplacementâ visent le mĂȘme ennemi : le solde migratoire.
Mais ce solde, câest un chiffre neutre : il additionne les retours de la diaspora, les actifs venus du continent, les retraitĂ©s, les EuropĂ©ens⊠et Ă la marge quelques Ă©trangers venus dâAfrique.
Sauf que dans le discours, âmigratoireâ devient âmigrantâ, âmigrantâ devient âarabeâ, et âarabeâ devient âmusulmanâ, avec lâislamisme en toile de fond.
Le raccourci est grossier, mais il marche : il fabrique de la peur.
Certains masquent leur rejet des Maghrébins, pourtant stables en nombre, derriÚre de prétendues considérations culturelles.
Et les colĂšres sâadditionnent. On agite le portefeuille avec la peur du continent qui rachĂšte, et on agite lâidentitĂ© avec le spectre de lâislamisation.
RĂ©sultat : une fable dâassiĂ©gĂ©s qui empĂȘche de regarder la rĂ©alitĂ© en face.
La Corse ne disparaĂźt pas sous les arrivĂ©es : elle se maintient grĂące Ă elles. Sans flux migratoires, lâĂźle vieillirait plus vite encore et se viderait de ses habitants.
Le vrai scandale nâest pas lâarrivĂ©e des autres, mais lâincapacitĂ© Ă retenir les nĂŽtres et Ă construire un avenir pour nos jeunes.
Tant quâon criera au âremplacementâ, on ne sâoccupera pas du vrai problĂšme.
En savoir plus sur Frédéric Poletti
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Monsieur Poletti, je lis toujours vos diffĂ©rents blogues avec intĂ©rĂȘt nĂ©anmoins je dois dire que celui-ci est particuliĂšrement bien vu et tout Ă fait Ă propos. On entend trop souvent dire que tout est de la faute des « Arabes » cela est effectivement faux et je dirai mĂȘme que sans eux, que serait la Corse, qui ferait les murs de pierres en Balagne et ailleurs, sans eux qui aurait pu libĂ©rer Bastia durant le derniĂšre guerre, alors on se doit un devoir de mĂ©moire Ă leurs Ă©gards.
Merci de remettre « l’Ă©glise au centre du village » !
Bien Ă vous.
PS: je vous avez parlĂ© de la protection de l’enfance devenu presque moribonde en Corse faute de moyen comme sur le continent mais en pire par l’insularitĂ©, la responsabilitĂ© en est pour partie Ă la CTC, la dĂ©nonciation de son impotence par celles et ceux qui y travaillent (avec encore beaucoup de volontĂ© et courage pour une petite partie) est difficilement rĂ©alisable tellement les faits sont lourds ! J’espĂšre qu’un jour les langues se dĂ©lieront…
JâaimeJâaime