Mettons de côté, les différences idéologiques : droite, gauche, nationaliste et non nationaliste. En effet, aucune famille politique n’a le monopole de la cohérence et l’appartenance à un parti donné ne saurait suffire à tout justifier.
L’exemple du projet de centre commercial sur la commune de Biguglia est symptomatique.
Alors que Gilles Simeoni ne veut défendre qu’une vision nationaliste de l’autonomie, en écartant les autres sensibilités politiques, des élus de son parti Femu a Corsica laissent entendre qu’en matière de défense de l’intérêt général, l’Etat doit prendre les décisions qu’ils n’auraient pas, eux-mêmes, le courage politique de porter.
Explications

Ce projet prévoyait initialement que sur les quelque 7 300 mètres carrés de locaux, seuls 1 000 mètres carrés auraient une vocation commerciale. Le reste devait être des locaux non commerciaux (bureaux…)
Notons que, au-dessus du seuil de 1000 mètres carrés de superficie commerciale, il faut l’autorisation de la commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) composée d’élus et de personnalités qualifiées.
Selon Corse Matin, le permis a été déposé en 2019 et a subi 3 modifications. D’après l’actuel maire de Biguglia, la demande de permis a été traitée par l’ancienne mandature et il a hérité d’un permis autorisé purgé de tout recours.
En 2023, une société de conseil représentant 17 pétitionnaires a déposé une demande d’autorisation d’exploitation commerciale. A cette fin, ils ont donc sollicité CDAC.
Un permis de construire a donc été accordé à un projet dont la superficie commerciale ne dépassait pas les 1000 mètres carrés donc sans avoir besoin de solliciter la CDAC. Des sociétés ont ensuite acheté des locaux non commerciaux. Et c’est une fois les locaux acquis qu’ils ont décidé de leur donner une orientation commerciale et ont donc sollicité la CDAC
L’arrêté N°2B-2023-05-31-00019, portant composition de la commission départementale d’aménagement commercial appelée à statuer sur la demande d’autorisation d’exploitation commerciale sans permis de construire d’un ensemble commercial, établit la composition de la CDAC.
Il y a 7 élus (dont le maire de Biguglia, le Maire de Bastia, Jean Felix Acquaviva en tant que conseiller à l’assemblée de Corse, le Président du conseil exécutif de Corse, ou son représentant) et 4 personnalités qualifiées
Le préfet de Haute Corse a un rôle d’organisation et de contrôle de la commission, mais il ne participe pas à la délibération sur les projets d’aménagement commercial
Il transmet le dossier de demande d’autorisation d’exploitation commerciale à la CDAC dans un délai de 7 jours francs suivant le dépôt en mairie ou en préfecture.
Il ne vote pas dans le cadre de la CDAC.
La CDAC s’est réunie, le 28 juin 2023, pour donner un avis favorable à la demande d’autorisation d’exploitation commerciale.
Il se trouve que le maire Femu a Corsica de Biguglia a voté pour, Jean-Felix Acquaviva et Pierre Savelli, tous deux Femu a Corsica, ont voté contre. Une divergence qui interpelle.
Le maire de Biguglia explique son vote par le fait que, bien que cela ne soit pas sa vision de l’aménagement, il a voulu préserver les propriétaires des lots, « des gens qui avaient consenti des investissements ». Selon lui, une remise en cause du projet aurait pu mettre en péril leurs entreprises.
Nous parlons, pourtant, de personnes qui savaient au moment de leur acquisition que les locaux n’avaient pas une vocation commerciale.
En revanche, il tacle le Préfet de Haute Corse en laissant entendre qu’il n’aurait pas dû soumettre le projet à la CDAC.
Ce qui implique deux possibilités. La première c’est qu’il méconnaît les textes. En effet, si la CDAC ne rend pas d’avis dans le délai de deux mois après l’enregistrement de la demande, l’avis ou la décision est réputé favorable.
La seconde, qu’il attendait que le préfet fasse ce que lui rechignait à faire c’est-à-dire contrevenir aux intérêts des propriétaires.
Si j’avoue avoir du mal à saisir le positionnement du maire de Biguglia, Pierre Savelli, le maire de Bastia, lui, affirme le comprendre parfaitement…
Il fait grief au Préfet de Haute Corse d’avoir mis les élus devant le fait accompli de les mettre en situation de devoir prendre une décision. Que des élus aient à prendre une décision serait donc si problématique ? Etonnant non ?
Le Préfet n’a pourtant fait qu’appliquer la loi (Article L751-1 du code du commerce)
Il reproche également aux services de l’Etat qui ont instruit la demande de permis de l’avoir accordé.
Le maire de Bastia confond la construction d’un centre commercial et une autorisation d’exploitation commerciale.
Le permis de construire a été accordé, en 2019, pour une superficie commerciale ne dépassant pas les 1000 m², le reste devaient être des bureaux.
Devant la CDAC en 2023, il a été étudié une demande d’autorisation d’exploitation commerciale sans permis de construire. Il ne s’agissait donc pas d’une construction mais d’un changement d’usage du bien.
La loi prévoit justement que cette décision doit revenir aux élus locaux qui sont les mieux placés pour définir l’urbanisation sur leur territoire.
En plein débat sur l’autonomie, le maire de Bastia explique que cela serait au représentant de l’Etat de prendre des décisions pour protéger la population que des élus corses n’auraient pas le courage d’exprimer !
Voila qui ne manque pas de sel !
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