Corse: la pauvreté se combat, elle ne s’instrumentalise pas!

Dans une île où 𝗽𝗿𝗲̀𝘀 𝗱𝗲 𝟯𝟵 𝟬𝟬𝟬 𝗽𝗲𝗿𝘀𝗼𝗻𝗻𝗲𝘀 𝘃𝗶𝘃𝗲𝗻𝘁 𝘀𝗼𝘂𝘀 𝗹𝗲 𝘀𝗲𝘂𝗶𝗹 𝗱𝗲 𝗽𝗮𝘂𝘃𝗿𝗲𝘁𝗲́ et où 𝗽𝗹𝘂𝘀 𝗱𝗲 𝟭𝟰 𝟬𝟬𝟬 𝗱𝗼𝗶𝘃𝗲𝗻𝘁 𝗽𝗿𝗲𝘀𝗾𝘂𝗲 𝗰𝗵𝗼𝗶𝘀𝗶𝗿 𝗲𝗻𝘁𝗿𝗲 𝘂𝗻 𝘁𝗼𝗶𝘁 𝗲𝘁 𝘂𝗻 𝗿𝗲𝗽𝗮𝘀, la colère est légitime.
Ce qui l’est moins, c’est l’attitude de ceux qui exploitent cette colère à des fins personnelles. Au lieu de s’attaquer à ses causes, ils l’attisent en désignant des boucs émissaires. Plutôt que d’apporter de l’espoir, 𝗶𝗹𝘀 𝘁𝗿𝗮𝗻𝘀𝗳𝗼𝗿𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗹𝗮 𝘀𝗼𝘂𝗳𝗳𝗿𝗮𝗻𝗰𝗲 𝗲𝗻 𝗰𝗮𝗿𝗯𝘂𝗿𝗮𝗻𝘁 𝗱𝗲 𝗹𝗲𝘂𝗿𝘀 𝗮𝗺𝗯𝗶𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀.

Désigner des ennemis ne demande aucun effort : il suffit de jouer sur les préjugés et d’agréger les peurs. Les “solutions” avancées 𝗻𝗲 𝘀𝗼𝗻𝘁 𝗽𝗮𝘀 𝗿𝗲́𝗮𝗹𝗶𝘀𝗮𝗯𝗹𝗲𝘀 : leur impossibilité masque surtout l’incapacité à agir pour le bien commun.

J’aime la politique, mais je refuse de céder à la facilité.
Pour apporter des solutions, il faut d’abord comprendre les problèmes.
Et depuis quelques mois, un mot revient sans cesse : 𝗮𝘂𝘁𝗼𝗻𝗼𝗺𝗶𝗲 𝗳𝗶𝘀𝗰𝗮𝗹𝗲. On parle beaucoup de 𝘁𝗲𝗿𝗿𝗶𝘁𝗼𝗿𝗶𝗮𝗹𝗶𝘀𝗲𝗿 𝗹𝗮 𝗧𝗩𝗔, c’est-à-dire que la Corse garderait tout ou partie de la TVA collectée sur son territoire.
Cette idée m’a conduit à regarder les chiffres de plus près.

Le rapport 𝗔𝘂𝘁𝗼𝗻𝗼𝗺𝗶𝗮, voté en 2023, avance une TVA annuelle de 𝟯𝟲𝟭 𝗠€ 𝗲𝗻 𝟮𝟬𝟮𝟭. Or, selon l’Insee, la TVA collectée atteignait déjà 𝟰𝟰𝟳 𝗠€ 𝗲𝗻 𝟮𝟬𝟭𝟴, pour un 𝗰𝗵𝗶𝗳𝗳𝗿𝗲 𝗱’𝗮𝗳𝗳𝗮𝗶𝗿𝗲𝘀 𝗱𝗲́𝗰𝗹𝗮𝗿𝗲́ 𝗽𝗮𝗿 𝗹𝗲𝘀 𝗲𝗻𝘁𝗿𝗲𝗽𝗿𝗶𝘀𝗲𝘀 𝘀𝗼𝘂𝗺𝗶𝘀𝗲𝘀 𝗮̀ 𝗧𝗩𝗔 𝗱𝗲 𝟭𝟮,𝟵𝟴 𝗠𝗱€. Cela représente un 𝘁𝗮𝘂𝘅 𝗲𝗳𝗳𝗲𝗰𝘁𝗶𝗳 𝗱𝗲 𝘀𝗲𝘂𝗹𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝟯,𝟰𝟱 %.

La question est simple : 𝗽𝗼𝘂𝗿𝗾𝘂𝗼𝗶 𝘀𝗶 𝗯𝗮𝘀 ?

Une première explication est l’existence de 𝘁𝗮𝘂𝘅 𝗿𝗲́𝗱𝘂𝗶𝘁𝘀 𝘀𝗽𝗲́𝗰𝗶𝗳𝗶𝗾𝘂𝗲𝘀 𝗲𝗻 𝗖𝗼𝗿𝘀𝗲 : 13 % sur les carburants, 10 % sur la restauration et certains travaux, 2,1 % sur l’eau et les transports, et même 0,9 % sur quelques produits. Malgré ces avantages, 𝗹𝗮 𝗖𝗼𝗿𝘀𝗲 𝗿𝗲𝘀𝘁𝗲 𝗽𝗼𝘂𝗿𝘁𝗮𝗻𝘁 𝗹’𝘂𝗻 𝗱𝗲𝘀 𝘁𝗲𝗿𝗿𝗶𝘁𝗼𝗶𝗿𝗲𝘀 𝗹𝗲𝘀 𝗽𝗹𝘂𝘀 𝗰𝗵𝗲𝗿𝘀 𝗱𝗲 𝗙𝗿𝗮𝗻𝗰𝗲.

Mais l’essentiel est ailleurs : 𝗹𝗮 𝗖𝗼𝗿𝘀𝗲 𝗱𝗲́𝗽𝗲𝗻𝗱 𝗺𝗮𝘀𝘀𝗶𝘃𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗱𝗲𝘀 𝗶𝗺𝗽𝗼𝗿𝘁𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀. La TVA fonctionne par différence : une entreprise collecte la TVA sur ses ventes, mais déduit celle déjà payée à ses fournisseurs. Quand presque tout est importé, la TVA payée en amont est très élevée et vient largement réduire ce que l’État encaisse en net.

La structure même du PIB corse nous éclaire sur ce point.
En 2018, 𝗹’𝗶𝗻𝗱𝘂𝘀𝘁𝗿𝗶𝗲 𝗲𝘁 𝗹’𝗮𝗴𝗿𝗶𝗰𝘂𝗹𝘁𝘂𝗿𝗲 𝗻𝗲 𝗿𝗲𝗽𝗿𝗲́𝘀𝗲𝗻𝘁𝗮𝗶𝗲𝗻𝘁 𝗾𝘂𝗲 𝟴 % 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗿𝗶𝗰𝗵𝗲𝘀𝘀𝗲 𝗽𝗿𝗼𝗱𝘂𝗶𝘁𝗲 contre 19 % en province, tandis que𝗹𝗲𝘀 𝘀𝗲𝗿𝘃𝗶𝗰𝗲𝘀 𝗱𝗼𝗺𝗶𝗻𝗮𝗶𝗲𝗻𝘁 𝗹𝗮𝗿𝗴𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 (51,8% du PIB contre 37,4% en province).
L’île produit peu de biens, importe l’essentiel de ce qu’elle consomme, et cette dépendance se traduit directement par une 𝗧𝗩𝗔 𝗱𝗲́𝗱𝘂𝗰𝘁𝗶𝗯𝗹𝗲 𝗲́𝗹𝗲𝘃𝗲́𝗲 et, donc, une TVA collectée bien plus faible que ce que laisseraient penser les chiffres d’affaires déclarés.

Cependant, l’autre enseignement, c’est que 𝐧𝐨𝐧 𝐬𝐞𝐮𝐥𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐥𝐚 𝐂𝐨𝐫𝐬𝐞 𝐞𝐬𝐭 𝐩𝐚𝐮𝐯𝐫𝐞, 𝐦𝐚𝐢𝐬 𝐞𝐧 𝐩𝐥𝐮𝐬 𝐮𝐧𝐞 𝐠𝐫𝐚𝐧𝐝𝐞 𝐩𝐚𝐫𝐭𝐢𝐞 𝐝𝐞 𝐜𝐞 𝐪𝐮𝐢 𝐞𝐬𝐭 𝐝𝐞́𝐩𝐞𝐧𝐬𝐞́ 𝐫𝐞𝐩𝐚𝐫𝐭 𝐚𝐮𝐬𝐬𝐢𝐭𝐨̂𝐭 𝐬𝐮𝐫 𝐥𝐞 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐢𝐧𝐞𝐧𝐭. C’est le 𝗱𝗼𝘂𝗯𝗹𝗲 𝗲𝗳𝗳𝗲𝘁 𝗰𝗶𝘀𝗲𝗮𝘂 : peu de richesses créées localement, et une dépendance massive aux importations.

La tentation est grande de dire qu’il suffit de développer l’agriculture locale et les circuits courts. Mais dans une île au marché restreint, 𝗼𝗻 𝗻𝗲 𝗽𝗲𝘂𝘁 𝗽𝗮𝘀 𝗱𝗲𝗺𝗮𝗻𝗱𝗲𝗿 𝗮̀ 𝗱𝗲𝘀 𝗳𝗮𝗺𝗶𝗹𝗹𝗲𝘀 𝗱𝗲́𝗷𝗮̀ 𝗳𝗿𝗮𝗴𝗶𝗹𝗶𝘀𝗲́𝗲𝘀 𝗱𝗲 𝗽𝗮𝘆𝗲𝗿 𝗽𝗹𝘂𝘀 𝗰𝗵𝗲𝗿 𝗽𝗼𝘂𝗿 𝘀𝗼𝘂𝘁𝗲𝗻𝗶𝗿 𝗰𝗲𝘁𝘁𝗲 𝗽𝗿𝗼𝗱𝘂𝗰𝘁𝗶𝗼𝗻. Nos petits producteurs ne peuvent pas rivaliser sur les prix avec les géants européens. Tant que ce décalage persiste, 𝗹’𝗲𝗳𝗳𝗼𝗿𝘁 𝗻𝗲 𝗽𝗲𝘂𝘁 𝗽𝗮𝘀 𝗿𝗲𝗽𝗼𝘀𝗲𝗿 𝘀𝘂𝗿 𝗹𝗲𝘀 𝗺𝗲́𝗻𝗮𝗴𝗲𝘀 𝗹𝗲𝘀 𝗽𝗹𝘂𝘀 𝗽𝗮𝘂𝘃𝗿𝗲𝘀.

𝗣𝗼𝘂𝗿 𝗯𝗿𝗶𝘀𝗲𝗿 𝗰𝗲 𝗰𝗲𝗿𝗰𝗹𝗲, 𝗶𝗹 𝗳𝗮𝘂𝘁 𝘂𝗻𝗲 𝗽𝗼𝗹𝗶𝘁𝗶𝗾𝘂𝗲 𝗽𝘂𝗯𝗹𝗶𝗾𝘂𝗲 𝗿𝗲́𝗴𝗶𝗼𝗻𝗮𝗹𝗲 𝗳𝗼𝗿𝘁𝗲. La Corse ne gagnera jamais la bataille du prix, mais elle peut gagner celle de la 𝘃𝗮𝗹𝗲𝘂𝗿 : 𝗾𝘂𝗮𝗹𝗶𝘁𝗲́, 𝗽𝗿𝗼𝘅𝗶𝗺𝗶𝘁𝗲́, 𝗶𝗱𝗲𝗻𝘁𝗶𝘁𝗲́. Cela passe par la mutualisation (coopératives), des aides qui soutiennent à la fois producteurs et consommateurs, et des débouchés stables grâce à la restauration collective et au tourisme.

Mais il faut aussi diversifier nos moteurs de richesse. Dans les services, 𝗹𝗲 𝗻𝘂𝗺𝗲́𝗿𝗶𝗾𝘂𝗲, par exemple, pourrait permettre de dépasser nos handicaps physiques : attirer des télétravailleurs, développer des services dématérialisés, héberger des data centers verts. À condition d’investir dans la connectivité et la formation, ce secteur offrirait des emplois qualifiés à notre jeunesse, sans dépendre des importations.

Je ne prétends pas avoir la solution miracle. Mais une chose est sûre : 𝗹𝗲𝘀 𝟭𝟯 𝟬𝟬𝟬 𝘀𝗮𝗹𝗮𝗿𝗶𝗲́𝘀 𝘀𝗼𝘂𝘀 𝗹𝗲 𝘀𝗲𝘂𝗶𝗹 𝗱𝗲 𝗽𝗮𝘂𝘃𝗿𝗲𝘁𝗲́ 𝗱𝗲 𝗻𝗼𝘁𝗿𝗲 𝗶̂𝗹𝗲 𝗺𝗲́𝗿𝗶𝘁𝗲𝗻𝘁 𝗺𝗶𝗲𝘂𝘅 𝗾𝘂𝗲 𝗱𝗲𝘀 𝘀𝗹𝗼𝗴𝗮𝗻𝘀 𝗲𝘁 𝗱𝗲𝘀 𝗯𝗼𝘂𝗰𝘀 𝗲́𝗺𝗶𝘀𝘀𝗮𝗶𝗿𝗲𝘀.

𝗢𝗻 𝗻𝗲 𝗯𝗮̂𝘁𝗶𝘁 𝗿𝗶𝗲𝗻 𝘀𝘂𝗿 𝗱𝗲𝘀 𝘀𝗹𝗼𝗴𝗮𝗻𝘀. Toute l’intelligence publique, toute la volonté politique, toute la force de nos institutions devraient être tendues vers un seul but : libérer la Corse de sa pauvreté et sans préalable.
𝗢𝗻 𝗻𝗲 𝘀𝗮𝘂𝗿𝗮𝗶𝘁 𝗽𝗮𝗿𝗹𝗲𝗿 𝗱𝗲 𝗹𝗶𝗯𝗲𝗿𝘁𝗲́ 𝘁𝗮𝗻𝘁 𝗾𝘂𝗲 𝗹𝗮 𝗽𝗮𝘂𝘃𝗿𝗲𝘁𝗲́ 𝗲𝗻𝗰𝗵𝗮𝗶̂𝗻𝗲 𝗱𝗲𝘀 𝗺𝗶𝗹𝗹𝗶𝗲𝗿𝘀 𝗱𝗲 𝗖𝗼𝗿𝘀𝗲𝘀.
𝗧𝗮𝗻𝘁 𝗾𝘂𝗲 𝗰𝗲𝘁𝘁𝗲 𝗺𝗶𝘀𝗲̀𝗿𝗲 𝗻𝗲 𝘀𝗲𝗿𝗮 𝗽𝗮𝘀 𝗯𝗿𝗶𝘀𝗲́𝗲, 𝗿𝗶𝗲𝗻 𝗻’𝗮𝘂𝗿𝗮 𝗲́𝘁𝗲́ 𝗳𝗮𝗶𝘁.


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