A Bastia, derrière les slogans qui vantent une ville solidaire, une autre réalité s’impose : celle de milliers d’habitants qui peinent à joindre les deux bouts. Des jeunes contraints de vivre chez leurs parents faute de logement abordable, des mères seules qui comptent chaque euro, des personnes âgées qui choisissent entre se chauffer ou manger. C’est cette réalité-là que révèlent les chiffres
La pauvreté concerne environ un habitant sur quatre, soit près de 11 000 personnes, et plus de 3 300 vivent même en grande pauvreté. Mais derrière cette moyenne se cachent de fortes inégalités selon l’âge, la composition des ménages et le statut d’occupation du logement.
Les jeunes de moins de 30 ans sont les plus frappés : près d’un sur trois vit sous le seuil de pauvreté, soit environ 4 300 Bastiais, et 1 500 d’entre eux en grande pauvreté.
Les plus de 75 ans connaissent eux aussi une situation difficile, avec un quart de pauvres (1 300 personnes).
Le type de ménage joue un rôle tout aussi décisif.
Parmi les 5 300 habitants vivant seuls, plus de 1 400 sont pauvres, dont plus de 400 en grande pauvreté.
La situation est encore plus critique pour les familles monoparentales : un tiers d’entre elles vit sous le seuil de pauvreté, représentant près de 2 700 personnes, dont environ 800 en grande pauvreté.
Enfin, le statut de logement accentue encore ces fractures. Dans le parc locatif privé, où résident environ 16 500 Bastiais, près de 4 500 habitants vivent sous le seuil de pauvreté et 1 500 en grande pauvreté.
Autrement dit, un locataire privé sur quatre est pauvre et un sur dix en grande pauvreté – un poids social bien supérieur à celui observé chez les propriétaires.

En somme, à Bastia, la pauvreté n’est pas uniformément répartie : elle pèse surtout sur la jeunesse, les familles monoparentales, les personnes isolées et les locataires du privé.
En 2021, Bastia comptait 5 229 logements sociaux. Parmi eux, 4 631 étaient occupés et 598 vacants (considérable !). L’OPH2C en gérait 2 112, soit 40 % du parc, les 3 100 restants relevant d’autres bailleurs (Erilia, Logirem, etc.)
Le parc social ne joue pas son rôle d’amortisseur. La typologie des logements sociaux est largement déconnectée des besoins réels.
A peine 13 % sont des T1 ou T2, alors que la pauvreté touche d’abord les jeunes, les personnes seules et les familles monoparentales.
À l’inverse, près de 80 % du parc est constitué de T3 et T4, pensés pour des familles stables, alors que ce modèle familial est minoritaire dans les profils de pauvreté.
L’offre sociale se concentre sur un public moins touché par la pauvreté, tandis que ceux qui devraient en bénéficier en priorité – les jeunes précaires, les mères seules, les isolés – se retrouvent exclus ou condamnés au parc privé cher et instable.
Selon l’INSEE (données RPLS), entre 2016 et 2021, le parc social bastiais n’a progressé que de 196 logements, soit moins de 40 par an, alors que près de 11 000 habitants vivent sous le seuil de pauvreté.
Cette progression dérisoire n’a pas changé la donne : en 2023, malgré une légère hausse des studios (T1 passés de 0,7 % à 3 %), près de 80 % des logements sociaux demeurent des T3 et T4, conçus pour des familles qui ne représentent plus le cœur de la demande sociale
L’OPH2C, bien qu’officiellement rattaché à la Collectivité de Corse, reste profondément lié à Bastia. Une large part de son parc est concentrée sur la commune, et deux élus municipaux bastiais siègent à son conseil d’administration, témoignant d’une influence indirecte de la Ville.
Par ailleurs, Gilles Simeoni, conseiller municipal de Bastia (on a tendance à l’oublier) et président de l’Exécutif de Corse, est le véritable tuteur politique de l’Office. Celui-ci dépend directement de la Collectivité de Corse, ce qui fait de Simeoni l’autorité de référence pour ce bailleur social.
Malgré ce lien étroit, la mairie de Bastia n’utilise pas l’OPH2C comme un levier pour adapter l’offre de logements sociaux aux besoins des habitants, alors qu’il gère une part importante du parc HLM de la ville. Elle en observe plutôt l’action à distance, comme si cela ne la concernait pas.
La seule fois où l’office a été rappelé à son importance, c’est en pleine campagne de 2020. Deux courriers adressés aux locataires par l’OPH2C, que le tribunal administratif a jugés comme de la propagande électorale, ont valu à la liste de Pierre Savelli l’annulation de l’élection d’un conseiller municipal et une sanction financière avec réintégration des frais dans les comptes de campagne (TA Bastia, jugement n°2000611 du 5 février 2021).
En somme, l’OPH2C a davantage contribué à reloger Pierre Savelli à la mairie de Bastia qu’à loger les Bastiais en difficulté
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