Depuis hier Femu a Corsica surfe sur le sondage concernant l’autonomie « de plein droit et de plein exercice ».
Beaucoup de choses me rendent dubitatif concernant le processus de Beauvau. La première d’entre elles, c’est la façon dont l’équipe de Gilles Simeoni la vend aux Corses que nous sommes.
L’autonomie est devenue une épopée devant laquelle il nous est demandé de vibrer avec une ferveur quasi mystique :
« Corse ! Battons-nous ensemble épaule contre épaule afin d’obtenir cette merveille victoire historique ».
Le problème c’est que l’Histoire est convoquée mais au détriment du quotidien de trop nombreux Corses.
L’autonomie n’est pas une victoire, c’est un outil. Et la victoire réside dans la façon de l’utiliser. Ce que Gilles Simeoni se garde bien d’expliquer trop occupé qu’il est à brandir la bandera…
Dans le rapport « autonomia » voté le 4 juillet 2023, il est évoqué l’autonomie fiscale.
Le rapport préconise une autonomie fiscale et financière de plein droit pour la Collectivité de Corse, lui permettant de créer ou adapter des impôts et d’en fixer les taux.
Il évoque aussi la réattribution d’une part des impôts nationaux qui aujourd’hui “remontent” intégralement à Paris. L’idée est de basculer une fraction pérenne de ces recettes vers la Collectivité de Corse afin de garantir des ressources stables et proportionnées aux compétences transférées.
Dans cet esprit, l’une des revendications de Gilles Simeoni est la territorialisation de la TVA c’est-à-dire qu’elle aille directement dans la caisse de la CdC.
En fait, Gilles Simeoni ne veut plus de la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) que l’Etat verse à la région et aux communes. Il veut gérer cette dotation directement en gardant l’impôt en Corse.
On résume : sans contre-pouvoir, si la CdC concentre les leviers financiers, cela serait une incroyable mise sous tutelle de l’ensemble des maires.
Il faut savoir que chaque région verse au pot commun les impôts collectés sur son territoire et reçoit en contrepartie ce dont elle a besoin en particulier en matière de sécurité sociale que financent les cotisations sociales mais aussi la Contribution sociale généralisée (CSG) et une quote-part de la TVA.
L’autonomie fiscale n’est pas seulement une affaire de budget. C’est aussi une affaire de solidarité : décider si les Corses, les Bretons, les Alsaciens, les Basques, etc.., partagent encore la même caisse, la même protection, les mêmes droits.
On peut réformer la Constitution, mais est-ce qu’on veut vraiment réformer le principe simple que la maladie d’un enfant en Corse ou en Bretagne ouvre les mêmes droits, financés par le même pot commun ?
On ne peut à la fois exiger de garder une partie de ce qui est mis en commun et attendre les mêmes droits.
En 2024, la Sécurité sociale a dépensé environ 1,31 milliard d’euros pour les soins des Corses.

Cela comprend à la fois les visites chez le médecin, les médicaments en pharmacie, les soins dentaires et infirmiers (756 M€), mais aussi les séjours à l’hôpital ou en clinique (551 M€).
Cela représente 3731 €/habitant soit le plus fort ratio des régions métropolitaines.

En 2023, l’URSSAF de Corse a encaissé 1,27 milliard d’euros. Or ces cotisations ne financent pas seulement la santé, mais aussi les retraites, le chômage, les allocations familiales.
Cependant, rien qu’avec la santé, tout est déjà absorbé.
Et ce n’est pas tout : aux dépenses de santé, il faut ajouter, entre autres, 1,8 milliard d’euros de retraites versées aux Corses (source DGFIP).

Donc, Santé + retraites = 3,1 milliards.
Face à cela, les impôts d’État collectés localement (897 M€) et les cotisations sociales (1,27 Md€) ne totalisent que 2,17 milliards. Le trou est d’un milliard.
Gilles Simeoni n’a pas peur des trous dépassant le milliard, la Chambre régionale des comptes nous l’a récemment montré.
Mais, malgré l’amour que nous portent les Bretons, les Basques, les Alsaciens et leur désir affiché de nous voir accéder à l’autonomie, il n’est pas sûr qu’ils soient ravis de combler ce trou alors que nous garderons pour nous une partie de l’argent destiné au pot commun…
L’autonomie n’est pas un slogan ni un symbole : c’est une équation budgétaire.
Et tant que l’on refusera de la poser honnêtement,
on ne parlera pas d’avenir mais de mirages,
on ne réglera pas les problèmes on les multipliera,
on n’émancipera pas mais on fragilisera.
En savoir plus sur Frédéric Poletti
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.
