Logement social en Corse : protéger les promoteurs plutôt que les familles

La Corse possède le triste paradoxe d’avoir le plus fort taux de pauvreté des régions françaises et le plus faible taux d’équipement en logements sociaux (451 pour 10 000 habitants en 2024).

Derrière ces chiffres, ce sont des familles qui peinent à payer leur loyer, des parents seuls qui n’arrivent plus à loger leurs enfants décemment, des personnes âgées isolées condamnées à rester dans des logements indignes.

L’Office public pour l’habitat de Corse (OPH2C) apparaît dès lors comme un outil primordial pour protéger les plus fragiles d’entre nous.

« Il faut une politique du logement social globale, cohérente et équitable », déclarait Gilles Simeoni en 2017 pour justifier le rattachement de l’office HLM de Haute-Corse à la Collectivité de Corse (CorsenetInfos, 16 novembre 2017).

Huit années plus tard, qu’en est-il ?

Déjà rappelons le bras de fer qui avait opposé Gilles Simeoni à Laurent Marcangeli. Ce dernier, président de l’office HLM de Corse du Sud avait refusé son rattachement à la collectivité de Corse.

Ayant eu gain de cause, l’OPH2C s’est retrouvé cantonné à la Haute-Corse.

Une offre dépassée, qui ne répond plus aux besoins réels

En Haute-Corse, plus d’un habitant sur quatre vit dans la pauvreté : 27,3 % de la population, soit plus de 50 000 personnes. Et parmi elles, près de 30 000 se trouvent en situation de grande pauvreté, c’est-à-dire avec des revenus inférieurs à 40 % du revenu médian.

Certaines catégories sont beaucoup plus exposées que la moyenne.

Les hommes seuls sont près d’un sur trois à être pauvres (31,8 %), et beaucoup basculent dans la grande pauvreté : plus de 2 900 personnes, soit 21 % de l’ensemble.

Les femmes seules sont encore plus touchées : 36 % vivent sous le seuil de pauvreté, et plus de 3 500 dans la grande pauvreté.

Mais ce sont les familles monoparentales qui apparaissent comme la catégorie la plus fragile : une sur deux vit sous le seuil de pauvreté et plus d’un quart (27 %) en grande pauvreté. Autrement dit, en Haute-Corse, élever ses enfants seul rime très souvent avec précarité.

Enfin, le parc privé, qui loge une grande partie de la population, est en réalité le principal foyer de pauvreté : 41 % de ses locataires sont pauvres, et plus d’un quart en grande pauvreté. Cela représente à lui seul près de 9 500 ménages pauvres et près de 6 000 en grande pauvreté.

Face à cela, la typologie du parc de l’OPH2C est très déséquilibrée : près de 80 % des logements sont des T3 et T4, pensés pour des familles « moyennes », alors que les plus gros foyers de pauvreté en Haute-Corse sont ailleurs.

Les chiffres montrent que la précarité frappe d’abord les personnes seules et les familles monoparentales, qui représentent ensemble plus de 40 % des ménages. Or, pour ces catégories, l’offre adaptée (T1 et T2) est dérisoire : seulement 14 % du parc, à peine 462 logements sur 3 296.

Le constat est sans appel : la pauvreté s’est enracinée, son visage a changé, et l’OPH2C continue de produire une offre pensée pour un modèle familial dépassé. Rien de global, rien de cohérent, rien d’équitable : les plus pauvres — isolés, familles monoparentales, locataires précarisés — restent exclus de fait du logement social et condamnés au parc privé, là où la pauvreté est déjà la plus massive.

Des loyers qui n’ont plus rien de social

Entre 2016 et 2024, le loyer moyen par m² est passé de 5,33 € à 6,03 € (+13,1 %).

En théorie, le logement social devrait être le refuge des plus fragiles. En pratique, l’offre de l’OPH2C illustre son décalage avec la réalité.

Le financement du parc est écrasant : 96 % en PLUS, destinés à des ménages modestes « standards », mais seulement 4 % en PLAI, censés accueillir les plus pauvres. Résultat : ceux qui devraient être prioritaires n’ont quasiment pas de place.

Et quand ils y accèdent, la promesse s’effondre. Les loyers PLAI, supposés être les plus bas, dépassent 390 € hors charges (441 € charges comprises), soit davantage que les loyers HLMO des vieux HLM « ordinaires » (306 €).

Pour une famille monoparentale pauvre vivant avec 625 € par mois en médiane, c’est insoutenable : près de 70 % du revenu absorbé par le logement. Le paradoxe est là : plus on est pauvre, plus le logement censé nous protéger devient inaccessible.

À l’OPH2C, ce n’est pas la politique sociale qui rend les loyers bas, c’est l’âge du béton. Les loyers HLMO sont faibles parce que les immeubles datent des années 60–70. Le PLAI, lui, est plus cher parce qu’il est récent. Le vrai problème, c’est que l’Office vit encore sur son patrimoine ancien, sans produire assez de logements très sociaux adaptés à la pauvreté d’aujourd’hui.

Pendant que 27 % des habitants et près d’une famille monoparentale sur deux vivent sous le seuil de pauvreté, l’OPH2C continue de proposer une offre calibrée pour des ménages moyens et des revenus stables. Les isolés, les parents seuls et les travailleurs pauvres, eux, restent coincés dans le parc privé, là où la pauvreté est la plus important.

Au fond, tout cela révèle une impasse structurelle : un office HLM ne peut fonctionner que s’il équilibre son offre. Le principe est simple : les logements à loyer un peu plus élevé (PLS, prêt locatif social) logent des ménages aux revenus moyens et permettent, grâce aux loyers perçus, de financer les logements à loyers très bas (PLAI, prêt locatif aidé d’intégration) destinés aux plus pauvres. Entre les deux, les logements dits PLUS représentent le cœur du parc social.

C’est ce jeu d’équilibre qui fait vivre une véritable politique du logement social. Mais à l’OPH2C, il n’existe pas : 0 % de PLS, seulement 4 % de PLAI. Résultat : un parc saturé de logements « moyens », sans capacité à soutenir ceux qui sont tout en bas de l’échelle.

Autrement dit, il n’y a pas de politique de logement social digne de ce nom : pas de péréquation, pas de stratégie, pas de réponse à la grande pauvreté. Juste une offre héritée du passé, qui tourne le dos à la réalité d’aujourd’hui.

L’OPH2C protège … les promoteurs privés

Depuis des années, l’OPH2C ne construit plus rien. Pas un seul logement social n’est sorti de terre en maîtrise d’ouvrage directe.

Toute la « production » récente s’est faite par acquisitions en VEFA auprès de promoteurs privés. Entre 2017 et 2021, cela représente 169 logements familiaux, soit en moyenne 34 par an ; une goutte d’eau face à la demande.

Et le tout pour un coût de revient moyen de 144 407 € par logement, soit plus de 24 millions d’euros  d’argent public dans la promotion privés.

Ce choix n’est pas neutre. En achetant plutôt qu’en construisant, l’Office perd sa capacité de pilotage et devient un simple client du marché.

Les loyers des logements récents flambent, jusqu’à dépasser ceux des vieux HLM des années 70.

Plus grave encore, l’outil public censé produire du logement social se transforme en outil de sécurisation pour la promotion privée : l’OPH2C garantit l’écoulement de programmes immobiliers au lieu de répondre directement aux besoins des plus démunis.

On n’assiste donc pas à une politique de production de logements sociaux, mais à une gestion patrimoniale minimale.

Trop peu, trop tard et trop cher : voilà le vrai visage de la « production » affichée par l’OPH2C.

Huit ans plus tard, malgré la promesse de Gilles Simeoni, le logement social en Corse n’a rien de global, rien de cohérent, rien d’équitable : L’OPH2C est devenu l’outil de la promotion privée : le béton reste, la politique sociale s’est évaporée.


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