Logements sociaux : la faillite morale de Femu ?

Côté face : des élus, la main sur le cœur, jurant de défendre les intérêts moraux et matériels du peuple corse.

Ils nous promettent une Corse plus dynamique, plus prospère, plus solidaire.

Ils posent sur des photos dignes des magazines de mode. Affiches, visuels, communiqués, réseaux sociaux : la communication est omniprésente.

Côté pile : des milliers de familles corses en galère.  Des foyers attendent depuis des années un logement digne. Certains vivent dans des appartements vétustes, d’autres, avec de maigres revenus, n’ont d’autre choix que de se tourner vers le parc privé, bien plus cher.

Pendant ce temps, les rapports de l’ANCOLS – l’agence nationale chargée de contrôler les bailleurs sociaux – décrivent un Office public de l’habitat de Haute-Corse (OPH2C) qui s’enlise.

Vacances en hausse

Il manque en Corse près de 10 000 logement sociaux pour répondre à la demande.

Pourtant, le taux de logements vides est passé de 3.1% en 2016 à 11.5% en 2022 (le taux des autres bailleurs en Corse de 2.2%).

L’envolée de la vacance est essentiellement due à l’augmentation du nombre logements vides en attente de travaux qui a presque quadruplé en 7 ans ( 379 en 2022).

Une vacance structurelle qui prive les familles de toit, alors que les demandes non satisfaites explosent.

Le stock de demande de logements sociaux était de 3 119 à fin décembre 2021.

Chaque logement qui reste fermé, c’est une famille condamnée à patienter des mois, parfois des années.

En 2017, l’ANCOLS pointait déjà deux plaies béantes : trop de logements vides et un patrimoine laissé à l’abandon. Quatre ans plus tard, non seulement rien n’a changé, mais la situation a empiré. Vacance qui explose, immeubles qui se dégradent : plus qu’une dérive, c’est la chronique d’un fiasco annoncé.

Des promesses de réhabilitation non tenues

On nous a vanté Saint-Antoine, la Cité des Arbres, les Pléiades. Mais sur le terrain, le rythme est lent.

L’OPH2C avait promis un vaste plan de réhabilitation : 29 programmes, 868 logements et près de 21 millions d’euros de travaux.

À l’arrivée, seuls dix groupes ont été rénovés, soit à peine un tiers des objectifs, et moins de 60 % des crédits engagés.

Le constat est le même dans la Convention d’utilité sociale : 606 logements annoncés, 211 réalisés.

Côté construction neuve, les ambitions affichées sont restées très en-deçà.

Mais l’essentiel demeure : faute de plan pluriannuel d’entretien et d’une stratégie patrimoniale tenue, le parc vieillit, se dégrade et les « grottes » s’accumulent.

Le Plan Stratégique de Patrimoine, jamais actualisé et devenu obsolète, illustre ce pilotage à vue qui condamne l’office à gérer l’urgence plutôt qu’à anticiper.

La réalité est crue : l’office investit trop peu, trop tard, et les locataires paient le prix de cette fuite en avant.

D’ailleurs, les plaintes des usagers de l’OPH2C sont un problème récurrent et significatif, souligné par plusieurs contrôles au fil des ans.

En 2022, seulement 54 % des locataires se déclaraient globalement satisfaits, une baisse par rapport à 2017 (60 %), et un taux nettement inférieur aux autres bailleurs sociaux (80 %)

Une COM 2020-2025 qui sonne creux

La convention d’objectifs de moyens (COM) a été signé en 2020 à quelques semaine du second tour de l’élection municipale bastiaise. Dotée de 26 millions €, elle a donné lieu à une large communication autour de « on va voir ce que l’on voir ! »

L’office s’engageait à produire 106 logements sociaux, réhabiliter 1 273 logements, remettre en état 780 vacants et conduire les opérations du NPNRU.

À cela s’ajoutaient des réformes internes : plan pluriannuel d’entretien, maîtrise de la masse salariale, modernisation de l’organisation.

Trois ans plus tard, le constat de l’ANCOLS est sévère.

Le stock de logements vacants reste inchangé, les réclamations des locataires explosent et la masse salariale continue de grimper.

Aucun plan d’entretien n’a vu le jour, et les ambitions de construction ou de réhabilitation apparaissent largement hors de portée.

Les moyens de la COM ont surtout servi à traiter les logements récemment libérés, sans résorber le stock de vacants de longue durée.

L’Ancols note l’absence de réformes structurelles : l’office reste englué dans ses lourdeurs et ses coûts de gestion excessifs. Faute de mécanismes contraignants dans la COM, les subventions risquent de n’être qu’un pansement budgétaire, sans impact durable sur l’exploitation.

Au mieux, une amélioration temporaire ; au pire, un effet d’aubaine alimentant les revendications salariales.

À mi-parcours, les engagements ne sont pas tenus et l’avenir reste incertain. L’OPH2C doit d’urgence réorienter les fonds vers l’investissement et prouver sa capacité à se réformer, sans quoi cette COM manquera son but : redresser un office qui vacille.

Plus de salaires, pas plus d’efficacité…

En six ans, la masse salariale de l’OPH2C a bondi de 30 %, alors que le parc n’a progressé que de 9 % et les effectifs de 6 %.

Rapporté au nombre de logements, l’office emploie 25 agents pour 1 000 logements, bien au-dessus des standards (18 pour 1000)

Promotions massives, absentéisme record (l’équivalent de 15 agents absents chaque année) et des salaires déjà supérieurs à la moyenne expliquent cette dérive.

Le plus inquiétant est ailleurs : cette inflation de coûts n’a produit aucune amélioration des performances, ni sur la vacance, ni sur la satisfaction des locataires.

Les frais de gestion restent trop lourds, le fonctionnement inefficace, et les aides publiques masquent à peine une profitabilité structurelle en berne.

Sans un sursaut de discipline et de rationalisation, l’office continuera de dépenser trop… pour des résultats trop faibles.

La régie technique de l’OPH2C, censée être un atout, reste un talon d’Achille.

Elle représente un tiers des effectifs, mais son organisation éclatée, ses doublons et son pilotage déficient grèvent son efficacité.

Malgré des renforts en 2020 et de nouveaux locaux, les résultats n’ont pas suivi : sureffectif persistant, arbitrages flous entre interventions internes et externes, recours systématique à l’urgence plutôt qu’à la prévention.

Les antennes locales, pourtant précieuses, sont sous-utilisées, et l’absence de contrôle de gestion empêche toute évaluation sérieuse des coûts réels de la régie. À cela s’ajoutent un temps de travail mal aligné sur la loi, un absentéisme élevé et des revendications salariales déconnectées de la situation financière.

Bref, un service coûteux, lourd, et incapable d’apporter la réactivité attendue.

L’Ancols appelle à une refonte en profondeur : pilotage rigoureux, rationalisation des effectifs, meilleure formation et contrôle strict des missions. Sans cela, la régie restera un gouffre budgétaire plutôt qu’un levier de performance.

Des irrégularités majeures…

Déjà en 2017, un rapport pointait des attributions de logements irrégulières, une commission d’attribution hors des clous, des comptes mal tenus, des charges récupérées illégalement et même des manquements dans la sécurité incendie.

Quatre ans plus tard, rebelote : pas grand-chose n’a été corrigé.

Pire, de nouvelles irrégularités se sont ajoutées – amiante, gaz, temps de travail, absence de stratégie patrimoniale.

On peut ajouter un retard significatif de l’OPH2C en matière de diagnostics de performance énergétique (DPE), avec près de la moitié des logements sans DPE valide ou avec des diagnostics obsolètes depuis janvier 2023. Environ 40% du parc est classé comme énergivore, et l’OPH2C doit prioriser la réhabilitation des logements les plus énergivores (étiquettes F et G) pour se conformer aux échéances de la loi Climat et Résilience, afin d’éviter qu’ils ne deviennent indécents à la location

En bref, quinze manquements lourds, listés noir sur blanc par l’ANCOLS.

Conclusion

Quand un organisme censé protéger les plus fragiles accumule ainsi les fautes, ce n’est plus de la gestion : c’est une faillite morale et institutionnelle.

Et pendant ce temps, 10 000 familles attendent un logement social : preuve que cette faillite se paie en vies brisées et en espoirs perdus.

La magie n’agit que si l’on y croit. La communication aussi. Mais à force de précarité, de promesses creuses et de réformes fantômes, il n’y a plus de croyants : seulement des victimes.


En savoir plus sur Frédéric Poletti

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Laisser un commentaire