Comment en suis-je venu à demander l’annulation de la délibération approuvant les comptes financiers 2024 de la mairie de Bastia ?
Tout est parti d’une question simple : comment la Ville compte-t-elle financer le projet pharaonique du théâtre municipal, désormais estimé à 42 millions d’euros TTC — un chiffre qui pourrait encore grimper en cas de surcoût.
Pour le comprendre, j’ai examiné les comptes de la Ville, notamment pour l’année 2024.
À première vue, tout semblait aller pour le mieux : les comptes affichaient une trésorerie confortable. Étonnant, puisque ni les charges de fonctionnement n’ont baissé entre 2023 et 2024, ni les impôts communaux n’ont augmenté (NDLR : l’augmentation de la TEOM concerne la CAB).
En y regardant de plus près, j’ai repéré une recette de 14,83 millions d’euros imputée dans un compte intitulé de façon pour le moins nébuleuse : « régularisation de produits de cession ».
Après quelques recherches, j’ai découvert qu’il s’agissait en réalité de l’indemnité d’assurance versée suite au sinistre du cimetière d’Ondina. La délibération du 17 octobre 2023 validait un accord transactionnel à hauteur de 14 millions d’euros, destinés à reconstruire les parties sinistrées du cimetière.
Et c’est là que le bât blesse : plutôt que d’affecter cette somme à l’investissement, la mairie l’a utilisée pour enjoliver sa trésorerie, sans vote du conseil, sans traçabilité, sans transparence. Une présentation flatteuse des comptes… mais construite sur une illusion comptable.

Voyons en détail les opérations concernant cette indemnité :
ce que la mairie aurait dû faire ✅ et ce que la mairie a fait ❌.
- Qualification du sinistre :
✅ ce qui aurait dû être fait : reconnaitre une destruction partielle : le cimetière était toujours exploité, les inhumations (certes encadrées) se poursuivaient, aucune sortie d’actif n’a été actée.
❌ Ce que la mairie a fait : elle a considéré un sinistre total, sans le dire, pour justifier un traitement budgétaire plus souple et un passage direct au compte 775.
- Comptabilisation de la recette :
✅ ce qui aurait dû être fait : comptabiliser l’indemnité au 75888 (cas classique en sinistre partiel), ou au 775, mais à condition de flécher ensuite la recette vers l’investissement (virement réel ou écriture d’ordre conforme à la M57).
❌ Ce que la mairie a fait : elle a imputé l’indemnité au 775, sans transfert clair vers l’investissement, ni fléchage, ni vote : la recette est restée en fonctionnement, faussant les équilibres.
- Informations des élus :
✅ ce qui aurait dû être fait : la recette étant identifiée depuis octobre 2023, elle aurait dû être présentée en conseil municipal via le Budget primitif ou une décision modificative (DM), comme l’exige l’article L.1612-1 du CGCT pour toute recette nouvelle.
❌ Ce que la mairie a fait : elle a dissimulé la recette sous une ligne floue intitulée « régularisation de produits de cession », sans qu’aucune DM n’ait été soumise au vote.
- Transfert de la recette à l’investissement :
✅ ce qui aurait dû être fait : soit faire un virement réel (compte 021) ; soit passer une écriture d’ordre conforme (65888 → 1021), avec traçabilité et pièces justificatives. L’une ou l’autre opération aurait du être voté par le conseil municipal.
❌ Ce que la mairie a fait : elle n’a réalisé ni virement de section, ni écriture d’ordre complète. Aucun fléchage n’a été opéré vers un projet d’investissement identifié. Elle n’a donc sollicité aucun vote.
- Traçage les écritures de transfert :
✅ ce qui aurait dû être fait : mettre en œuvre une chaîne comptable traçable, équilibrée et compréhensible : 042 (65888) → 1021, avec rattachement explicite à un projet (ex. : reconstruction Ondina)
❌ Ce que la mairie a fait : elle a mobilisé des écritures patrimoniales (675/6761 contrepassées au 2137/192), sans transfert entre sections, sans passage au 1021, et sans vote. Une opération interne, opaque et non fléchée.
Alors pourquoi tout cela ?
Parce que la mairie ne dispose que d’un seul compte au Trésor. Toutes les recettes y sont versées, qu’elles relèvent du fonctionnement ou de l’investissement.
En évacuant tout fléchage, la mairie a pu afficher au 31/12/2024 un solde extrêmement flatteur de 11,18 millions d’euros.
Mais si l’on retire à ce solde les 14 millions d’euros qui devraient être réservés à la reconstruction du cimetière, il ne reste plus qu’un solde négatif de -3,65 millions d’euros pour le reste du fonctionnement et les autres projets.
C’est pour cette raison que, malgré un solde flatteur fin 2024, la mairie a dû contracter dès mai 2025 une ligne de crédit de 4 millions d’euros.
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