PLU de Bastia : du port de la Carbonite au port-n’importe-quoi, en passant par Portu Novu

À plusieurs reprises, la presse m’a qualifié d’opposant le plus farouche de Pierre Savelli. C’est faux. Je suis surtout un défenseur acharné de ma ville, et cette fidélité-là me place, c’est vrai, dans une opposition frontale à cette majorité municipale.

En général, qui dit opposition dit visions différentes. Mais là, ce n’est même plus une question de visions : c’est une question de boussole. Car en matière de développement, le maire de Bastia propose à notre ville des sables mouvants dans lesquels elle s’enlise inexorablement.

Certains d’entre vous, y compris des journalistes, se disent : « C’est normal que Poletti critique, il n’est pas avec eux. » Sauf que, qu’on soit militant de Pierre Savelli ou opposant, deux et deux font quatre. Il n’y a pas d’interprétation possible. Enfin… normalement.

Adopté le 22 mai 2025, le nouveau Plan Local d’Urbanisme (PLU) consacre plusieurs pages au port de commerce. Ce qui, dans une ville littorale, est la moindre des choses.

Bastia reste – faut-il le rappeler ? – la principale porte maritime de la Corse, un carrefour stratégique pour les passagers, les marchandises, l’économie insulaire tout entière.

Et pourtant, le PLU évite soigneusement de trancher sur l’avenir de cette infrastructure pourtant vitale. Ce qui est affirmé, c’est qu’il y a un port, qu’il est exigu, et qu’il ne répond plus aux exigences du trafic maritime moderne. Jusqu’ici, rien que de très consensuel.

Mais ensuite ? Le rapport de présentation aborde les projets de requalification du port, mais en précisant :

« Les paragraphes suivants reprennent des parties du dossier « Grand Port Bastia-Corse : 1ère réunion du comité de pilotage le 21 mai 2015 à Bastia » de mai 2015 de la Collectivité Territoriale de Corse. ».

Une façon très élégante de dire : ce n’est pas nous, ce sont eux.

La ville ne prend pas position, comme si elle n’était pas concernée, alors que l’activité portuaire est un poumon économique vital pour notre cité.

Autre fait très étonnant : la version du PLU soumise à l’enquête publique passe entièrement sous silence les études de 2019, où le projet désormais baptisé Portu Novu a été consolidé, précisé, et documenté à grands frais par la Collectivité de Corse.

Des études que la Chambre régionale des comptes vient tout juste de pointer du doigt, en s’interrogeant sur leur rentabilité politique et institutionnelle.

Ce silence n’a pas échappé au président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, qui, dans son avis officiel, s’est fendu de ce rappel :

« Il peut être rappelé que l’Assemblée de Corse, par délibération n°19/231AC du 25 juillet 2019, a approuvé le programme d’études relatif au renouvellement des infrastructures de Bastia […]. Un nouveau programme d’études portuaires et d’études urbaines […] a ainsi été réalisé. »

Réponse de la mairie, toute en habileté :

« Le rapport de présentation (chapitre diagnostic dédié aux Ports) sera complété par la mention aux études réalisées sur les Ports depuis 2015, rappelées par la CdC. Pourront également y être intégrés les éléments […] que la CdC voudra y voir figurer et donc transmettre à la commune, sous une forme synthétique. »

En somme, la ville admet à demi-mot que, ne voulant pas prendre parti dans ce projet, elle est prête à rajouter dans le PLU ce que la CdC voudra bien y voir écrit.

Une forme d’urbanisme délégué, version : « dis-moi ce que je dois penser et je l’écris ».

Ce fut chose faite. Dans la version finale du rapport de présentation, on découvre en effet que les études de 2019 ont bien eu lieu, qu’elles ont été multiples, coûteuses, et, pour certaines, parfaitement achevées. Sécurité nautique, géotechnique, houles, trajectographie, insertion urbaine, scénarios alternatifs : tout y passe.

Et le plus savoureux : le rapport précise que la commune a dû se contenter des comptes rendus d’assemblée et d’une question orale de 2024 pour faire sa synthèse — puisque les fameuses études, elles, n’ont toujours pas été formellement transmises.

Un PLU de Schrödinger, en somme : le port y est et n’y est pas, selon le regard qu’on porte… ou selon l’échéance électorale qui approche.

Mais le plus troublant reste ceci : le secteur de la Carbonite – précisément celui concerné par l’éventuelle implantation du port – est classé en zone 2AU.

Une zone à urbaniser à long terme, certes… mais où le règlement du PLU autorise déjà des « extensions mesurées ».

Autrement dit : l’urbanisation est possible. Discrète, progressive, mais bien réelle. Elle s’installe.

Et demain ? Quand la Corse sera prête à construire ce port – si elle l’est un jour – on constatera peut-être qu’il est trop tard. Le foncier sera morcelé, les constructions réalisées, les projets engagés… et la procédure d’expropriation paraîtra trop coûteuse, trop complexe, trop lente.

À force de ne pas choisir, la ville prépare l’impossibilité du choix.

Elle n’a pas acté l’abandon du projet portuaire, mais elle a laissé s’installer les conditions de son étouffement.

C’est ainsi que cette majorité municipale planifie l’avenir : en s’assurant qu’il ne puisse pas avoir lieu.

De la fenêtre de son bureau, le maire assiste à l’agonie silencieuse de notre port, désormais trop souvent fermé en raison des conditions climatiques. Ce port fonctionne encore sous dérogation… mais au moindre accident majeur, celle-ci pourrait être remise en cause. Et alors, ce ne serait plus une simple suspension : c’est toute l’activité portuaire qui deviendrait illégale dans sa configuration actuelle.

Et pourtant, par pure couardise électorale, il ne prend toujours pas position.

Mais rassurez-vous : il a décidé que l’agriculture serait l’avenir de Bastia.


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