L’Autonomie : alibi d’un immobilisme politique

La légitimité de « Femu a Corsica » tirée des urnes est incontestable. En 2015 et 2017 avec l’union des nationalistes puis en 2021 seul. Nul ne saurait la remettre en question.

Une fois cela dit, il convient de comprendre pourquoi les électeurs ont fait ce choix. Et, parmi ces raisons, il y a les engagements pris. Tout au long de la compagne de la dernière territoriale, Gilles Simeoni l’a répété à l’envi : « cette nouvelle mandature sera celle des concrétisations ».

En 2017, il y a eu le prétexte du passif de la précédente mandature. En 2017, il y a le prétexte d’une union de la famille nationaliste qui s’est avérée, selon lui, peu efficace.

Mais en 2021, on allait voir ce qu’on allait voir. Et, pour cela il y a eu un programme « U Progettu » de 100 pages.

Dans son édito, de 2 pages, Gilles Simeoni balaie tous les domaines : de doter la Corse des moyens de répondre aux grand défis (comme la précarité et la pauvreté) au soutien aux entreprises et à l’emploi en passant par la création d’une compagnie maritime régionale et le déploiement du très haut débit sur toute l’île.

En revanche, l’autonomie de plein droit et de plein exercice n’est pas citée une seule fois !

Mieux dans les 100 pages de ce programme, cette autonomie n’occupe que 2 pages (p82&83). Aucun des grands projets évoqués le long des 88 autres pages n’est soumis à ce préalable d’autonomie.

Pour qui veut bien s’en rappeler, l’autonomie n’a même pas été l’élément clé de la campagne de « Fà Populu Inseme ».

Il y avait des mesures phares comme la rénovation énergétique de 8600 logements sociaux pendant la mandature 2021-2027 mais pas d’obtention d’une autonomie de plein droit et de plein exercice.

L’autonomie n’a véritablement fait son entrée dans la vie politique insulaire qu’après un événement tragique : l’assassinat d’Yvan Colonna dans des circonstances incompréhensibles et inadmissible.

Alors que l’ensemble des Corses nationalistes et non nationalistes s’interrogeait sur les errements du système carcéral, alors que la tension était à son comble sur l’île, le gouvernement a dégainé l’autonomie.

Il l’a fait sans trop que l’on comprenne le rapport entre l’exigence légitime de vérité sur les circonstances de l’assassinat d’Yvan Colonna et l’autonomie. Enfin, si ! Un message était clair « calmez-vous et on causera d’autonomie »

Force est de constater que plus de deux ans après la mort d’Yvan Colonna, on n’est pas plus avancé sur l’éclairage des circonstances que sur la question de l’autonomie.

Mais 2022 a marqué un tournant pour la majorité territoriale. A partir de cette année, elle a fait de l’obtention de l’autonomie un préalable à toute action majeure pour la Corse.

Lors d’un débat que j’ai eu avec Romain Colonna sur RCFM, j’ai dépeint la situation sociale dramatique de la Corse, il a abondé dans mon sens mais en affirmant que justement c’était la justification d’un changement de cadre c’est-à-dire l’autonomie.

Là où je disais « exigence d’actions », il répondait « préalable à l’action ».

En somme, les réalisations déclinées dans les 88 pages du programme de « Fà Populu Inseme » se sont soudainement  trouvées soumises à un préalable : l’octroi par l’Etat d’un statut d’autonomie.

Que l’on soit favorable ou pas à l’autonomie, tout le monde peut s’accorder sur un point, elle est un outil et non une fin en soi. Or, en deux ans, jamais il n’a été expliqué comment cet outil sera utilisé concrètement.

Comment aidera-t-il à combattre la précarité et la pauvreté ? Comment aidera-t-il les entreprises et l’emploi ? Comment aidera-t-il à réaliser les grands chantiers structurants dont l’île a besoin ?…

Tous les observateurs s’accordent à dire que Gilles Simeoni veut éviter le mécontentement. Or, entreprendre c’est justement prendre le risque de mécontenter.

Pour l’éviter, Il a fait le choix de mettre toute sa légitimité au service de cette autonomie qui devient l’excuse parfaite pour l’inaction.

Cependant deux plus tard, et une dissolution de l’assemblée nationale en prime, le processus de Beauvau semble dans une impasse. La question corse est loin d’être la priorité d’un gouvernement qui peut être renversé à tout moment.

La légitimité s’acquiert par les urnes et elle ne se conserve qu’au travers des réalisations au service de l’intérêt des corses.

Or la majorité territoriale n’a cessé d’affirmer qu’elle ne pourrait travailler sur des projets que dans le cadre d’une autonomie. En d’autres termes, elle ne saurait travailler à droit constitutionnel constant.

L’autonomie devenant plus qu’incertaine, la légitimité de la majorité territoriale pourrait être remise en cause.


En savoir plus sur Frédéric Poletti

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Laisser un commentaire