Je comprends la colère qui a submergé la veuve du gendarme tué lors d’un refus d’obtempérer, Éric Comyn.
La douleur a dicté le discours qu’elle a tenu. Et je respecte sa douleur. En pareilles circonstances, je serais sous doute incapable de mesure.
De ce discours, deux réactions en ont découlé. L’une est inadmissible et l’autre révoltante.
Les réactions haineuses envers cette femme frappée par le malheur sont inadmissibles. L’expression de sa colère légitime ne saurait justifier un tel déferlement.
Même si on ne partage pas du tout ses propos, il ne faut pas oublier que son monde a été anéanti et cela mérite avant tout de la compassion.
La récupération politique de ses propos est, quant à elle, révoltante. Des personnalités politiques ou médiatiques, qui ont la chance de ne pas avoir été touchées dans leur chair par un tel drame, ont fait leur une douleur qui ne leur appartient pas afin de promouvoir leurs idées nauséabondes.
Au lieu de saisir la chance, qui est la leur, de pouvoir prendre du recul, ils ont voulu surfer sur une émotion.
Lors de son discours Harmonie Comyn a déclaré que «1981 n’aurait jamais dû exister ».
Il est évident qu’il est, sans aucun doute, fait allusion à l’abolition de la peine de mort qui a suivi victoire de François Mitterrand.
On peut comprendre qu’elle soit animée de ce désir de tailler en pièces le meurtrier de son époux et du père de ses enfants. Qui pourrait l’en blâmer ?
En revanche ses propos ne sauraient être repris par des opportunistes pour justifier le retour de la peine de mort.
Tout d’abord n’oublions pas que l’artisan de l’abolition s’appelait Robert Badinter.
En matière d’horreurs subies, il n’a de leçon à recevoir de personne.
Pendant la seconde guerre mondiale, à l’âge de 14 ans, il a vu son père arrêté par la gestapo avant d’être déporté dans les camps de concentration dont il ne reviendra jamais.
Avec sa mère et son frère, il a dû vivre caché jusqu’à la fin de la guerre en changeant de nom pour survivre.
Marqué par l’horreur absolue, il aurait pu sombrer dans le plus profond ressentiment. Or, il a choisi de se battre pour «ce qu’il y a de plus profond en l’homme : son humanité».
Il nous explique deux choses fondamentales.
Tout d’abord, «Le sang versé légalement n’apaise jamais le sang versé illégalement».
En effet, si exécuter un meurtrier peut apaiser la colère, cela ne soulagera jamais la douleur.
Ensuite, «La justice doit être exemplaire, non dans la violence, mais dans la justice. Elle ne saurait répondre au crime par un acte que réprouvent, au fond de leur conscience, tous ceux qui sont attachés à la dignité de l’homme.»
Et, c’est là que réside la question importante. La justice a-t-elle les moyens d’être exemplaire dans la justice ?
A force de voir les budgets restreints, la justice a-t-elle les moyens humains et matériels de cette exemplarité ?
Si par «1981 n’aurait jamais dû arriver», il est question de rendre responsable la gauche de tous les actes odieux et lâches commis par des délinquants, il serait bon de faire le point.
Depuis, 1981 il s’est écoulé 43 ans. Le poste de Président de la République a été occupé par la gauche pendant 19 ans et par la droite pendant 24 ans.
Depuis 1995, il s’est écoulé 29 ans. Or, il n’y a eu un Président dit de gauche que pendant 5 années.
Depuis 1981, il s’est donc écoulé 43 ans. Les gouvernements de gauche ne représentent en durée que 18 ans…
D’ailleurs, pour en revenir à l’abolition de la peine de mort, si c’est un homme de gauche qui en a été l’artisan, c’est un homme de droite, Jacques Chirac, qui l’a fait graver dans le marbre de la Constitution en 2007.
Aujourd’hui, les réseaux sociaux et les chaines d’infos en continu sont devenus de véritables caisses de résonance des émotions. Or, l’émotion domine la raison.
Hannah Arendt disait :« Les émotions collectives sont les outils privilégiés des régimes autoritaires, car elles permettent de court-circuiter la pensée critique et de contrôler les masses. »
Alors gardons-nous de prendre des décisions ou de voter sous le joug de l’émotion…
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